Médias - 15 juillet 2025

Le leadership féminin, moteur d’une transformation durable de l’entreprise?

Vision long terme, éthique, anticipation des risques… Les femmes dirigeantes apportent une approche différente de la gouvernance. Une sensibilité façonnée par les stéréotypes de genre qui devient aujourd’hui un avantage stratégique.

 

Axe stratégique de transformation des entreprises, la durabilité a su, ces dernières années, gagner une place de plus en plus centrale dans l’organisation de l’entreprise. Dans le même temps, certains pays ont introduit des dispositifs pour accélérer la féminisation des instances dirigeantes.

En France, la loi Rixain – officiellement appelée «loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle», adoptée en 2021, impose aux entreprises de plus de 1’000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, d’atteindre un minimum de 40% de femmes parmi leurs cadres dirigeants d’ici 2030 (Ginglinger, 2024, Rodier, 2025 et Lemaitre 2025). En Suisse, depuis 2021, les entreprises cotées de plus de 250 salariés doivent viser 20% de femmes à des postes de direction. Même si encore peu de pays disposent de mesures de ce type, cette avancée légale soulève une interrogation: qu’apporte le leadership féminin à la gouvernance des entreprises? Dans quelle mesure la féminisation des instances de gouvernance peut-elle être un moteur d’impact durable?

Les recherches les plus récentes (voir sources en fin d’article) convergent: les femmes, lorsqu’elles accèdent à des postes de direction, adoptent une approche plus inclusive, éthique et orientée vers l’impact. Ce leadership durable, à la fois pragmatique et visionnaire, s’affirme comme un atout majeur face aux défis sociaux et environnementaux de notre époque.

Engagement et performance: la féminisation est-elle un atout stratégique durable?

L’Observatoire Skema Business School de la féminisation des entreprises s’est penché, dans une étude de 2025, sur les premiers effets de la loi Rixain en France et sur l’impact de la mixité sur les performances des entreprises. Il en ressort que la rentabilité opérationnelle et la performance environnementale sont, en moyenne, plus élevées dans les entreprises où la féminisation du management au-delà du Comex est plus avancée. Ces résultats soulignent une association notable qui mériterait un approfondissement de l’ensemble des liens de causalité (type d’entreprise, secteur, index global femmes/hommes).

Il semble donc que, plus le pourcentage de femmes dans la population cadre d’une entreprise est important, plus la rentabilité opérationnelle est élevée.

De même, la responsabilité sociale est très fortement corrélée à la présence de femmes dans les effectifs et aux postes de responsabilité intermédiaires. En 2021, une étude Bpifrance Le Lab interrogeait plus de 1’300 dirigeantes et dirigeants de PME sur leurs motivations. Il en ressortait que les femmes étaient clairement surreprésentées dans le profil «capitaine humaniste», 60% d’entre elles plaçant le capital humain et la protection de l’environnement au cœur de leur stratégie et considérant leur rôle comme vecteur de transformation durable (Lalanne, 2022).

La durabilité est un terrain de prédilection féminin

Portées par une vision durable, les femmes dirigeantes sont davantage engagées en faveur de l’action climatique. Des recherches menées par les enseignants-chercheurs d’Excelia Business School confirment en effet que pour les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’économie circulaire ou encore les écogestes, les dirigeantes jouent en effet un rôle moteur dans la transition (Excelia, 2024). Les femmes décisionnaires se concentrent à la fois sur l’avantage concurrentiel de l’entreprise et sur le développement durable. Toujours selon cette même étude, la présence de femmes dans les conseils d’administration contribue à réduire l’écart entre les émissions de carbone et les objectifs de réduction. Une étude de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) souligne par ailleurs que les banques gérées par des femmes prêtent moins aux gros pollueurs. Cet engagement envers l’impact se retrouve aussi dans l’entrepreneuriat: en 2023, la création ou l’intention de création d’entreprises par des femmes avait progressé de 5 points par rapport à 2018, et 73% d’entre elles déclaraient vouloir y intégrer une finalité sociétale, contre seulement 52% des hommes (Lalanne, 2022).

Dans ce contexte, on ne peut que déplorer la sous-représentation des femmes à la tête des grandes entreprises suisses. Ainsi, dans le SMI (Swiss Market Index), si on compte 28,4% de femmes dans les directions d’entreprises en 2024, elles ne sont plus que 24,7% dans les Conseils d’administration et absentes des postes de PDG (6% pour le CAC 40) (swissinfo.ch, 2025). De la même manière, 93% des capitaux investis dans l’Union européenne vont à des équipes fondatrices exclusivement masculines. A l’heure où 20% des grandes entreprises visent la neutralité carbone en 2050 (Balke & Östros, 2023), ouvrir les instances de gouvernance à une plus grande diversité de genre serait assurément un levier pour y parvenir!

Une sensibilité accrue déterminée par les stéréotypes de genre

Selon une étude de Mintel, un cabinet d’études indépendant britannique, 71% des femmes cherchent à vivre plus éthiquement, contre 59% des hommes. Ce fossé, appelé eco gender gap, s’explique en partie par les stéréotypes de genre: les femmes sont socialement conditionnées à prendre soin des autres – et donc de la planète – à travers des rôles liés à la maternité, à l’empathie et à la douceur. À l’inverse, les hommes sont élevés à être forts et ambitieux, moins poussés à développer cette sensibilité.

Ce n’est pas une question de nature, mais bien de construction sociale. Les hommes ne sont pas dénués d’empathie, mais ils y sont souvent moins préparés. Dès l’enfance, les filles sont encouragées à développer des compétences relationnelles comme l’écoute, la coopération ou la gestion des émotions — des qualités précieuses pour créer du consensus et construire des solutions collectives. Ces apprentissages sociaux façonnent des approches plus inclusives et collaboratives dans la vie adulte.

Par ailleurs, les femmes sont en première ligne face aux crises climatiques, notamment dans les pays du Sud, où elles assurent une grande part des responsabilités liées à l’alimentation, à l’eau et aux soins. Quand surviennent sécheresses, inondations ou déplacements forcés, ce sont elles qui subissent les premières conséquences, exposées à l’insécurité alimentaire, aux violences et à la précarité. Cette réalité nourrit une conscience aiguë des enjeux environnementaux et sociaux, qui renforce encore leur engagement pour des modèles plus durables.

Leadership féminin: vers une gouvernance plus éthique, plus durable et mieux préparée aux enjeux ESG

C’est sans doute l’un des points sur lequel convergent toutes les études récentes à propos de l’impact de la féminisation de la gouvernance d’entreprise: les femmes font preuve d’une meilleure anticipation des attentes sociétales et des évolutions réglementaires. Ensuite, d’une manière générale, elles ont une approche plus ouverte et éthique des relations avec les parties prenantes et sont plus rigoureuses en matière de reporting. L’étude d’Excelia Business School relève d’ailleurs que les administratrices sont plus susceptibles de respecter des pratiques éthiques par rapport à leurs homologues masculins (Execlia, 2024).

Mais l’impact de la féminisation des entreprises dépasse le simple cadre du reporting. Selon une étude Springer, la présence de femmes dans les Conseils d’administration renforce non seulement la supervision éthique, mais aussi la gestion des risques et la vision stratégique de long terme (Khan et al., 2024). Cette approche durable permet aux entreprises d’intégrer plus efficacement les enjeux ESG, d’anticiper l’activité dans un monde de plus en plus instable et de continuer à créer de la valeur. Là où certains modèles de leadership restent centrés sur la performance à court terme, les femmes dirigeantes tendent à mettre la robustesse au cœur du logiciel de l’entreprise.

Les femmes, vigies d’un futur plus durable et plus éthique?

Au-delà même de l’entreprise, les femmes incarnent, dans la société, des choix plus vertueux. En matière de mobilité, elles privilégient davantage les modes de transport décarbonés: marche, vélo, transports en commun. En Île-de-France, 46% des femmes les utilisent quotidiennement, contre 36% des hommes. Des différences notables s’observent également dans les comportements alimentaires, avec une consommation nettement plus élevée de viande et de charcuterie chez les hommes que chez les femmes, traduisant là encore une approche plus sobre et responsable du côté féminin (Damgé, 2023).

La place occupée par les femmes dans nos sociétés est un vecteur de progrès. Pourtant, l’élargissement de leurs droits civiques n’a été acquis que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe! Et les reculs sont toujours possibles: sous l’administration Trump, plusieurs agences fédérales américaines ont reçu pour consigne de supprimer ou d’éviter des termes tels que «femme», «DEI» (diversité, équité, inclusion), «pollution» ou «changement climatique» dans leurs communications officielles, sites web et documents internes. Préoccupant également, l’intelligence artificielle (IA) risque d’amplifier les biais existants. En effet, aujourd’hui, les femmes représentent uniquement 12 à 14% des professionnel·le·s développant des systèmes d’intelligence artificielle dans le monde, selon les estimations les plus récentes. Faiblement représentées dans l’entraînement de ces technologies, leurs voix sont marginalisées, au risque de voir se reproduire et s’amplifier des stéréotypes sexistes.

La transition vers des sociétés plus justes est inévitable. La question est simple: allons-nous la subir ou la construire? Moi, je choisis un leadership féminin, éthique et visionnaire. Prêt·e à faire ce choix avec moi?

Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 15 juillet 2025 que vous pouvez retrouver ici.
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