Médias - 12 décembre 2025
Et si on inversait les priorités en matière de durabilité: d’abord le plan d’action, ensuite le reporting?
Les organisations consacrent leurs ressources à produire des rapports de durabilité conformes à des normes de plus en plus complexes, au détriment des actions concrètes. Mais pour dépasser la dictature des indicateurs, rien de mieux que d’agir, même imparfaitement et en tâtonnant.
Avec l’évolution rapide des obligations de transparence, de nombreuses entreprises n’ont aujourd’hui plus le choix: elles doivent produire un rapport de durabilité rigoureux et conforme. Cette exigence est légitime et s’inscrit désormais pleinement dans le mode du fonctionnement attendu d’une organisation.
Dans la pratique, un phénomène préoccupant s’installe: la conformité prend toute la place et l’ambition passe au second plan. À force de mobiliser l’ensemble des ressources internes pour répondre aux exigences de reporting, il ne reste plus ni temps, ni énergie, ni budget pour faire avancer ce qui compte vraiment: le plan d’action en matière de durabilité.
Et si nous changions de perspective? Et si, au lieu de viser uniquement un rapport impeccable, nous veillions d’abord à ce que les actions progressent réellement, et que le reporting n’en soit que le reflet fidèle?
La dictature des indicateurs?
Dans beaucoup d’entreprises, la collecte d’indicateurs, la compilation et la vérification des données, puis la production du rapport de durabilité forment un exercice qui, bien que nécessaire, tend à devenir une fin en soi. Un reporting uniquement utilisé pour cocher des cases ne crée aucune valeur. Employé au contraire comme un outil de pilotage relié à un plan d’action clair, il devient un levier puissant. C’est lorsque le reporting prend le pas sur l’action que le rapport de durabilité perd sa raison d’être: on finit par travailler pour le rapport, plutôt que pour la transformation.
Or le changement réel naît de la mise en œuvre, des ajustements, de la progression concrète. Le reporting devrait documenter ce chemin, pas le remplacer.
La paralysie par la perfection réglementaire
Peut-être avez-vous été happé ces derniers mois, par la complexité croissante des normes ESRS ou du GRI, par les efforts nécessaires pour les mettre en œuvre? Peut-être avez-vous aussi suivi les discussions autour du paquet Omnibus, qui vise justement à simplifier et à ajuster le cadre, mais dont les conclusions entretiennent malgré tout encore une certaine incertitude?
Analyse de double matérialité, taxonomie européenne, scopes 1, 2 et 3… Les acronymes s’accumulent, et parfois, avec eux, les raisons de différer l’action. Le paradoxe est frappant: plus le cadre se précise et s’ajuste, moins on agit. On attend la bonne formation, le bon consultant, le bon logiciel. Parfois même que le concurrent se lance en premier… Pendant ce temps, l’impact négatif perdure. Et les opportunités s’échappent.
La RSE, c’est le plan d’action qui transforme
Revenons à l’essentiel: la durabilité ne progresse que par l’action. L’action qui réduit les impacts, améliore les pratiques et entraîne l’entreprise dans un mouvement concret. À ce titre, le reporting a toute son utilité: il structure, mesure, rend visible et engage publiquement. Mais il ne doit jamais prendre le pas sur ce qui compte vraiment, faire avancer le plan d’action.
Prioriser ce qui compte vraiment. Toute entreprise dispose déjà d’informations stratégiques suffisantes pour agir sur ses enjeux matériels. Inutile donc d’attendre une analyse exhaustive pour se mettre en mouvement. L’essentiel consiste à cibler quelques axes d’engagement clairs et ambitieux, là où l’action aura le plus d’impact.
Définir des objectifs réalistes à court terme. Se fixer des objectifs concrets, atteignables en 6 à 12 mois, permet de créer une dynamique motivante et visible, qui embarque les équipes. il ne s’agit pas de tout refaire, mais de rendre une partie de la stratégie opérationnelle, avec des objectifs atteignables et mesurables.
Organiser un plan d’action pilotable. Qui fait quoi? Avec quels moyens? À quel rythme? Dans beaucoup d’organisations, il manque la capacité de traduire la stratégie en actions suivies, priorisées et mises en œuvre de manière transversale. Un plan opérationnel clair redonne au reporting sa juste place: un outil de pilotage et de suivi, au service de l’action, qui met en lumière les progrès, les ajustements nécessaires et les véritables avancées.
Éloge du tâtonnement: avancer, même imparfaitement
Ce qui compte, c’est de se mettre en mouvement, de progresser pas à pas. Une action ne donne pas exactement le résultat attendu? Soit. L’essentiel est d’en tirer des enseignements – sur le processus, sur les équipes, sur la chaîne de valeur – et d’ajuster le tir.
En matière de durabilité, la peur de l’imperfection est l’un des plus grands freins à l’action. Il suffit de se comparer à des groupes déjà très avancés (stratégies Net Zero, trajectoires SBTi, reportings étoffés) pour avoir l’impression de ne pas être à la hauteur. Mais aucune de ces organisations n’a commencé à ce niveau. Toutes ont progressé par étapes, parfois timidement, mais toujours avec la volonté d’améliorer leur impact. Chacun avance selon son modèle, son secteur et ses capacités.
L’expérimentation est plus précieuse que l’attentisme. Chaque action crée une dynamique et une culture d’amélioration continue, indispensables à toute organisation engagée sur le chemin de la durabilité. Et surtout, elle permet d’éviter le piège le plus courant: le «tout ou rien», cette idée selon laquelle il faudrait disposer d’une démarche parfaite avant d’oser commencer. En réalité, c’est l’action progressive et structurée qui construit la transformation.
L’urgence d’agir imparfaitement
Plus que jamais, il est nécessaire d’innover, de faire bouger les lignes, d’affiner et d’avancer pour progresser en durabilité.
Pendant que certains peaufinent leur rapport, d’autres réduisent déjà leurs émissions, transforment leur chaîne d’approvisionnement, font évoluer leur gouvernance ou encore mobilisent leurs équipes. Prendre du recul est utile, parfois indispensable. Le reporting, lui aussi, a toute sa place dans une démarche structurée. Mais attendre le cadre parfait, le consensus total ou le budget idéal conduit trop souvent à l’immobilisme.
L’objectif de cet article n’est pas de prôner les actions impulsives ou déconnectées des réalités. C’est simplement de rappeler qu’à force de vouloir tout cadrer, tout anticiper, tout sécuriser, on finit parfois par oublier l’essentiel: avancer progressivement, même imparfaitement.
Parce qu’au fond, tout ce que vous ferez réellement trouvera naturellement sa place dans votre reporting, surtout les transformations que vous aurez effectivement engagées. Vous verrez: lorsqu’on agit, même dans l’incertitude, il se passe des choses. Parfois même des choses qu’aucun tableau Excel, ni aucun rapport n’auraient pu prédire.
Article rédigé par Laurence De Cecco et Céline Brémont pour Bilan, publié le 12 décembre 2025 que vous pouvez retrouver ici.
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