Médias - 22 juin 2023
Sport, si tu ne vas pas vers la durabilité, la durabilité viendra à toi!
Le sport est un secteur économique important qui pèse près de 22 milliards de francs en Suisse. En Europe, il représente 3,5 % du PIB et emploie 15 millions de personnes.
C’est un marché aux nombreux pratiquants : en 2023, un quart des Européens déclarent « pratiquer une activité sportive au moins une fois par semaine », un chiffre plus élevé encore en Suisse avec seulement 16 % des résidents suisses qui se déclarent « non sportifs ».
Mais derrière ce secteur économique très porteur, il y a malheureusement des pratiques à l’impact environnemental et social souvent délétère. Certes, une mue (plus) responsable se dessine. Mais face à la nécessaire adaptation au changement climatique et aux nouveaux enjeux sociétaux, il est temps que le sport entre à grandes enjambées dans la transition. Tour d’horizon d’un secteur qui doit vite s’emparer des questions sociétales et environnementales avant que celles-ci ne le prennent de court.
Des menaces climatiques bien réelles
La litanie des risques systémiques liés au réchauffement climatique n’épargne pas le secteur sportif pour lequel la nature est un « terrain de jeu » : les canicules menacent tous types de pratiques indoor ou outdoor, l’accélération de la fonte des neiges et des glaciers hypothèque l’avenir des activités de glisse hivernale à moyen terme, l’augmentation des sécheresses rend complexe l’entretien des pelouses des stades ou des golfs, l’érosion côtière, le développement d’algues marines et les inondations menacent les clubs de voile en bord de mer… La liste des menaces sur les clubs et les événements sportifs est longue et bien réelle. Le WWF a d’ailleurs réalisé en 2019 un dossier complet sur le sujet pour permettre une prise de conscience par les acteurs du secteur. Cette seule donnée devrait alerter tout responsable de club ou d’événement sportifs : la fréquence des canicules va doubler d’ici à 2050, alors même que la pratique sportive est déconseillée pour la santé au-delà de 32 °C. Sans compter que l’âge médian augmente en Europe, ce qui accroît ces risques sanitaires.
La dissonance cognitive entre la réalité du monde sportif et les enjeux RSE actuels menace directement l’image des sponsors et les audiences
Il n’aura échappé à personne que l’on n’avait pas autant parlé de boycott de la Coupe du monde de football depuis les Jeux de Moscou en 1980. Les sujets politiques de la guerre froide d’alors ont fait place, en 2022, aux questions des droits de l’homme (conditions de travail des travailleurs migrants sur les chantiers, discrimination, liberté d’expression, etc.) et aux impacts environnementaux (durabilité des infrastructures, gestion des déchets, pollution, transports, climatisation des stades, etc.). Si au final l’appel populaire de la fête et du jeu a pris le pas sur le boycott, il n’en demeure pas moins que l’année 2022 marque un tournant. Celui de la prise de conscience planétaire de l’impact du sport et de sa nécessaire responsabilisation.
Il faut dire que les événements sportifs donnent aux militants écologistes du grain à moudre : impact carbone du transport en avion ou en hélicoptère, consommation d’énergie, « gigantisme » des stades, volume de déchets générés, entre autres. Des élus de certaines communes françaises refusent d’ailleurs de devenir une « ville étape » du Tour de France pour ces raisons. Une polémique autour de l’eau utilisée pour refroidir la route a surgi lors de l’édition 2022. Si les organisateurs se sont défendus en expliquant que le volume et l’approvisionnement (récupération d’eau de pluie) avaient peu d’impact, la dissonance s’accroît entre des citoyens à qui l’on demande des efforts de sobriété en pleine sécheresse d’un côté, et des événements qui se déroulent « coûte que coûte » de l’autre.
Autre exemple, le débat fut houleux dans la commune de Lans-en-Vercors (Isère) au moment de décider de l’accueil du Trophée Andros (une course automobile sur glace) à l’hiver 2022. Pour cette course, les véhicules sont 100 % électriques depuis 2020, mais pour les élus opposés, il s’agit d’une débauche énergétique d’un temps révolu… au moment où les Français se serraient la ceinture pour payer leurs factures énergétiques !
Avec les réseaux sociaux, les citoyens européens et même parfois les sportifs eux-mêmes n’hésitent plus à interpeller les marques sponsors et les organisateurs d’événements sur le sportwashing — qui consiste à utiliser le sport pour améliorer sa réputation… comme il y a quelques années l’industrie du tabac a été peu à peu mise au ban du sponsoring sportif en raison de son impact sanitaire. Les gros émetteurs de CO2 que sont les pétroliers ou l’industrie automobile sont aujourd’hui pointés du doigt par les militants écologistes.
Le sport est une caisse de résonance de nos sociétés
Et c’est la raison pour laquelle l’enjeu est si fort aujourd’hui. Tour à tour au service de sponsors dont l’impact social et environnemental est énorme, ou détourné par des activistes du climat, le sport est à l’image des tiraillements sociétaux actuels autour de la transition écologique. La raison ? Le sport fait de l’audience, le sport est un marché. Mais le sport rassemble aussi. Pour de nombreux pays émergents, il est un instrument de soft power qui leur permet d’étendre leur influence et leur développement, le Qatar et la Corée du Sud ne s’en cachent pas. La notion de responsabilité n’a pas (encore) sa place dans de telles stratégies…
Dans les pays européens, l’exposition sportive, à l’instar de la culture, est désormais utilisée par des activistes du climat pour faire passer des messages. Ce fut le cas en 2022 à Roland Garros ou encore sur les routes du Tour de France où des militants de Dernière Rénovation — une ONG qui milite pour la rénovation énergétique des bâtiments en France — se sont « invités » au beau milieu des événements, message à l’appui.
Enfin, certains sportifs sont engagés et utilisent leur notoriété pour alerter : ils se retirent de leur sport ou renoncent à certaines compétitions afin de limiter leur impact personnel et éveiller les consciences. On peut citer ici, par exemple, le trailer franco-britannique Andy Symonds qui a renoncé publiquement aux mondiaux de trail en Thaïlande à l’automne 2022 afin de ne pas grever un peu plus son bilan carbone personnel. Citons également Lewis Pugh, un nageur en eau libre britannique et sud-africain qui a parcouru des distances impressionnantes, utilisant son talent dans des régions polaires pour attirer l’attention sur la fonte des glaces et les changements climatiques ou encore sur l’état des coraux en traversant la mer Rouge avant la COP27. À la tête de la Lewis Pugh Foundation, il interpelle depuis quinze ans les décideurs et chefs d’entreprise pour les alerter sur l’urgence de la protection des écosystèmes marins.
Le mouvement est en marche, alors autant lui emboîter le pas !
Les exemples ci-avant ne sont pas des signaux faibles. Certes, « l’industrie (lourde) du sport », celle des événements et de leurs audiences médiatiques hors normes n’a pas encore engagé de démarche à la hauteur des enjeux. Néanmoins, tous les acteurs accélèrent. Et comme bien souvent, le mouvement vient aussi « du terrain » : clubs locaux qui changent de stratégie — à l’image des Forest Green Rovers, ce club de football de 3e division britannique qui, depuis 2010, a pris un virage 100 % responsable (une belle RSE story !) — ou encore à l’image de ces sportifs-citoyens qui veillent à réduire l’impact environnemental de leur pratique sportive en limitant les déplacements, en diminuant les déchets, en utilisant des équipements de seconde main, etc.
À bien y réfléchir, c’est assez logique car le sport porte, entre autres, en lui-même les valeurs de la RSE : solidarité, résilience, sens de l’effort collectif, pédagogie...
Ce secteur a tant à gagner en renouant avec ces valeurs essentielles, à éduquer, inspirer, participer. Il est crucial de remettre le sport au cœur de la société comme « ciment » dans un monde qui peine à amorcer sa transition vers une société plus responsable ! En encourageant ces changements, le sport peut jouer un rôle clé dans cette transformation.
Par où commencer ? Les pistes…
Jusqu’à présent, le sport s’est principalement contenté de « compenser » son impact (par l’achat de crédits carbone), mais cela ne suffira pas à rendre le monde de demain vi(v)able. C’est aussi valable pour le sport que pour tous les autres secteurs économiques. Il est grand temps de travailler sur les analyses de cycle de vie (ACV) des événements afin d’opérer des choix stratégiques (incluant bien entendu les déplacements des supporters sur les lieux d’événements). C’est la première étape. Les impacts majeurs des grands événements sportifs sont la logistique et le transport.
Il y a urgence à limiter les événements internationaux, à rationaliser les calendriers et redonner du poids à des événements régionaux. Par exemple, la F1 — qui souhaite réduire son impact carbone — est passée de 17 Grands Prix en 2000 à 24 en 2023, ajoutant au passage le Qatar et l’Arabie saoudite à la liste… responsable ?
Comment les plus hautes instances des fédérations peuvent-elles décider de JO d’hiver dans des lieux enneigés avec de la neige artificielle à 100 % ? Compenser par des programmes de reboisement — dont l’efficacité reste limitée — ne pourra pas suffire à permettre un futur soutenable. Ensuite, il est utile de questionner l’adaptation du sport à un monde à +2 ou 3 °C (trajectoire climatique la plus plausible en l’état actuel). En effet, même en décarbonant nos activités, le réchauffement climatique est malheureusement déjà enclenché. Comme pour tous les secteurs économiques, l’analyse des risques est cruciale : doit-on faire courir des risques pour la santé des sportifs, des travailleurs et des spectateurs lors d’événements avec des températures intenables en plein été, par exemple ? Les compétitions ne pourraient-elles pas avoir lieu à d’autres périodes moins chaudes ?
Enfin, il est utile de (re)questionner le sponsoring, l’association d’images. Oui, un sponsoring sportif peut servir la cause de l’entreprise, son image et avoir un impact positif, sans pour autant être en contradiction avec les enjeux actuels. On peut citer l’exemple de l’assureur AG2R La Mondiale, qui, en plus du sponsoring très médiatique d’une équipe cycliste professionnelle, déploie depuis 2015 un programme RSE intitulé « Vivons Vélo » dont l’ambition est de développer des communautés locales de cyclistes incitées ainsi à la mobilité douce et à améliorer leur santé.
En Suisse, l’opérateur Swisscom, sponsor de la Swiss Football League (SFL), accompagne ce sport au travers d’actions RSE multiples. L’objectif est notamment de favoriser l’inclusion et la pratique du football par le plus grand nombre : parrainage de jeunes talents ou encore soutien de projets locaux rendant le football accessible à tous. Un volet durabilité encourage l’utilisation d’énergies renouvelables sur les événements et des actions de sensibilisation sur ces questions complètent cet engagement.
JO 2024 : une vitrine pour le sport responsable ?
C’est en tout cas ce que souhaitent les organisateurs qui veulent réduire l’empreinte carbone des Jeux de Paris 2024 (tout en compensant les émissions résiduelles tous scopes confondus) et les rendre plus solidaires. C’est pourquoi le comité d’organisation (COJO) annonce que 95 % des bâtiments utilisés seront existants ou éphémères, que les athlètes seront logés dans un rayon de 10 km maximum, que 100 % de l’énergie proviendra des énergies renouvelables, et que Paris 2024 souhaite intégrer des circuits courts ainsi que recourir à l’économie sociale et solidaire, tout en veillant aux impacts carbone.
Un comité de transformation écologique des Jeux veille sur ces engagements. Ces experts de la transition sont les garants de la volonté du COJO Paris 2024 de faire de ces jeux un point de bascule vers une nouvelle approche de l’événementiel sportif de grande ampleur : inspirante et responsable.
Alors… RDV en 2024 pour confronter la réalité ? D’ici là, questionnons la place du sport et le rôle que ce secteur peut (doit ?) jouer dans la transition vers la durabilité. Il faut repenser les événements internationaux, sensibiliser et inspirer une société plus responsable, questionner le (bon) sens du sponsoring sportif, son utilité et sa responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Il y a tant à gagner pour tous et surtout pour l’avenir du sport.
Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 22 juin 2023, que vous pouvez retrouver ici.
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